L'histoire de la médecine vaudoise est bien antérieure à celle de la Faculté du même nom. Le premier hôpital, celui de Saint-Jean, date de 1177, suivi de celui de Saint-Nicolas vers 1190, de celui du Jorat (Saint-Catherine) en 1228. En 1279 l'hôpital Notre-Dame est ouvert, fondé par l'évêque en haut de la rue de la Mercerie[1]. Rebâti au XVème siècle il sera complètement reconstruit au milieu du XVIIIème siècle. Son principe de fonctionnement, assez éloigné de notre actuelle vision hospitalière, s'est maintenu de 1300 à 1800. L'Hospitale pauperum accueille mendiants, délinquants, pauvres, pèlerins et parfois malades. Hôpital, hospice et hôtel proviennent du même mot latin, hospes, l'hôte qui est à l'origine aussi du mot hospitalité. On comprend pourquoi. Lausanne compte aussi, en dehors de la ville, une maladière ou maladrerie pour les contagieux, principalement les lépreux et les pestiférés qui a laissé son nom au quartier. La chapelle Saint-Lazare, au bord du lac, près du musée romain, est aujourd'hui le seul témoin des hôpitaux médiévaux.
Au début du XIXème siècle l'Etat se rend acquéreur de l'hôpital de la Cité et du domaine du Champ-de-l'Air, voisin de la Place de l'Ours. C'est là que seront enfermés les aliénés.
Avant 1765, chacun peut librement exercer la profession de médecin dans le Pays de Vaud. Dès 1765 Leurs Excellences publient un texte portant les bases légales encadrant la pratique médicale. A la même époque, en 1787, le gouvernement bernois met en place un organe de surveillance des affaires médicales, le Collège de médecine de Lausanne. Son vice-président est Samuel-Auguste Tissot. Il fait partie des grands noms médicaux lausannois. Citoyen de Grancy, surnommé le «médecin des princes et le prince des médecins» Tissot a marqué la fin du XVIIème siècle, comme Matthias Mayor, la chirurgie lausannoise du XIXème. Célèbre grâce à ses travaux sur l'onanisme et sur l'épilepsie il sera le premier médecin appelé à enseigner à l'Académie, en qualité de professeur honoraire de 1766 à 1797. Frédéric Recordon et William Haldimand sont les fondateurs de l'Asile des aveugles en 1843. Aimé Steinlen crée l'Hospice de l'enfance en 1861. C'est le beau-fils de Louis Germond, le créateur de l'institution de Saint-Loup, qui a produit ces milliers de soeurs visitantes ou hospitalières quasiment bénévoles, reconnaissables à leur petit bonnet tuyauté, typique du costume bourgeois de la région d'Echallens au milieu du XIXème siècle.
C'est véritablement dans le dernier quart du XIXème siècle seulement que la fonction d'«assistance publique» de l'hôpital se transforme en celle de «centre de soins» grâce notamment à deux événements significatifs, la construction de l'Asile d'aliénés de Cery en 1873 et celle de l'Hôpital cantonal du Calvaire (Bugnon), dix ans plus tard. En 1887 les praticiens lausannois, Emile Dind, Jacques Larguier des Bancels et le médecin-chef de l'hôpital cantonal, Edouard de Cérenville, créent le Dispensaire central de Pépinet. Il deviendra la Policlinique universitaire en 1892.
En 1804 François Verdeil, alors chef du Bureau de santé vaudois, a demandé au Gouvernement la création d'une école de médecine. L'initiative est prématurée, le canton ployant sous les charges financières liées à la récente indépendance. Néanmoins la Loi sur l'Instruction publique de 1806 crée deux chaires, l'une de médecine et l'autre de chirurgie. Elles ne seront mises au concours qu'en 1812 et les deux candidats qui se présentent rendent l'un une composition en latin jugée insuffisante et l'autre une rédaction en français, irrecevable à l'époque. On ne parle plus de ces chaires dont la mention disparaît même dans la loi suivante, celle de 1837. Fondateur de la Société vaudoise des sciences médicales, Mathias Mayor reçoit une charge d'enseignement de médecine à la Faculté des lettres et des sciences en qualité de professeur honoraire de 1841 à 1847. Charles Hoffmann enseigne la médecine légale en Faculté de droit de 1846 à 1847. Enfin Hermann Lebert, titulaire d’un doctorat de médecine à Zurich, donne lui aussi un enseignement de médecine de 1859 à 1878.
La loi de 1869 introduit une chaire d'hygiène. L'Académie en confie la charge à Frédéric Recordon, jusqu'alors professeur de médecine légale en Faculté de droit. Il sera remplacé en 1875 par Marc Dufour. Un enseignement d'Anatomie et de physiologie est donné par François Forel de 1869 à 1895.
En 1876 Genève ouvre une Faculté de médecine. Lausanne réagit en créant en 1881 une section propédeutique médicale qui, avec la section de pharmacie et de la section scientifique forme la Faculté des sciences. La loi fédérale de 1877 instaure des examens fédéraux de médecine.
La section propédeutique est logée dans une vieille caserne à la Cité et accueille 13 étudiants. Ils seront 34 à la veille de la création de la Faculté de médecine. Les futurs médecins vaudois ont désormais l'occasion de commencer leurs études à Lausanne. Ils les terminent à Berne ou à Genève. Les professeurs nommés pour assurer ces enseignements fondamentaux sont Edouard Bugnion[2] en anatomie et Alexandre Herzen[3] en physiologie. De 1885 à 1886 Henri Blanc enseigne l'histologie puis se voue à la zoologie et à l'anatomie comparée. Nathan Loewenthal reprend l'histologie. Bientôt la vieille caserne est trop petite et, en 1888, la Section est transférée à la Caroline, dans l'Ancienne douane rénovée qui prend le nom d'Ecole de médecine.
La transformation de l'Académie en Université en 1890 s'accompagne de la création d'une Faculté de médecine complète. 13 professeurs y sont attachés. La première année 66 étudiants, dont 13 étrangers, s'inscrivent en médecine, sur les 321 que compte l'Université. Le succès est au rendez-vous et un nombre croissant d'étrangers se presse à Lausanne, devenue une véritable «Mecque médicale». En 1905 la Faculté compte 456 étudiants, dont 82% (377) sont étrangers. Elle représente à elle seule la moitié des étudiants lausannois et le quart du total des étudiants suisses inscrits en médecine.
Tissot, Mayor, Recordon, Haldimand, Dufour et plus tard Roux, Bourget, Gonin, Decker… aucune autre discipline académique que la médecine ne peut se vanter d'avoir eu tant de célébrités à passer à la postérité en donnant leur nom à une rue lausannoise.
Rapidement après l'ouverture de la nouvelle faculté les relations se tendent entre deux professeurs russes, tous deux élèves du professeur Moritz Shiff de l'Université de Genève. Il s'agit d'Alexandre Herzen qui enseigne la physiologie, et de Nathan Loewenthal, qui dispense les cours d'histologie. Ce dernier est plébiscité par ses étudiants; mais Herzen, sans doute meilleur homme de réseau que scientifique, réussit à envoyer son collègue à «l'asile» en 1895, apparemment sans raison médicale. Le pauvre Loewenthal passe tout l'été à Cery avant d'être finalement «relâché» peu avant la reprise des cours, afin que l'enseignement d'histologie ne se trouve pas dépourvu. Dorénavant, afin d'éviter que les deux enseignants ne se croisent, ils enseigneront dans deux lieux distincts.
Malgré l'augmentation importante du nombre d'étudiants qui atteint 500 en 1959 celui des professeurs n'évolue pas de façon significative; cette année-là ils sont 22. Le taux d'encadrement est donc tombé de 19.5 à 4.5%. Ensuite l'accroissement des étudiants est rapide pour atteindre 1100 étudiants pour 103 professeurs en 1983 (9.5%).
Le XXème siècle est l'occasion de transformations régulières d’une Faculté de médecine qui grandit sans cesse. Une partie de l'activité relève d’ailleurs davantage de la santé publique que de l'enseignement supérieur. En 1971 la première pierre du nouveau Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) est posée, tandis que l'enseignement se structure en quatre secteurs, l'Université (sciences de base), la santé publique (médecine communautaire), le Centre hospitalier (la clinique) et le secteur psychiatrique. Le nouvel hôpital vaudois est inauguré en 1982.
L'histoire de la Faculté de médecine lausannoise subit une évolution profonde en 2003 avec sa fermeture conjointe à celle de la Faculté des sciences. Les enseignements sont réorganisés. Deux nouvelles facultés voient le jour, celle de biologie et de médecine (FBM), autour du «mystère de la vie» et celle des géosciences et de l'environnement (FGSE), destinée à «répondre au besoin de la société de mieux comprendre la place de l'homme dans son environnement»[4].
Olivier Robert - UNIRIS 2014
[1] Voir notamment la chronologie lausannoise sur le site de la ville de Lausanne (www.lausanne.ch).
[2] Fils de Charles, le banquier propriétaire de l'Hermitage au-dessus de Lausanne.
[3] Fils d'Alexandre, révolutionnaire russe, exilé en Sibérie entre 1835 et 1839, qui avait fuit son pays.