Une analyse réalisée par des expert·es en science de la durabilité remet en cause la croyance largement répandue selon laquelle la croissance économique serait nécessaire à, ou moteur du progrès sociétal. Intitulée «Post-growth: the science of wellbeing within planetary boundaries» et co-rédigée par l’UNIL, cette analyse publiée dans Lancet Planetary Health présente une feuille de route pour prioriser le bien-être humain et la durabilité écologique, plutôt qu’une expansion économique sans fin dans un monde fini.
Quelques points clé de l’étude :
La poursuite de la croissance économique dans les pays à revenu élevé ne serait pas seulement insoutenable d'un point de vue environnemental, elle pourrait également être défavorable d'un point de vue social, et irréalisable d'un point de vue économique. Telles sont les conclusions d’une nouvelle étude menée par l’Université autonome de Barcelone, et à laquelle a contribué Julia Steinberger, de l’Université de Lausanne. Dans cette analyse, qui synthétise les dernières découvertes dans des domaines tels que l'économie écologique, l'économie du bien-être et la décroissance, les scientifiques mettent en évidence le lien direct entre la croissance du PIB et les dégâts environnementaux, mais aussi les limites des effets positifs de la croissance sur le bien-être, et l’accentuation des risques de ralentissement économique.
Selon cet examen, publié dans Lancet Planetary Health, le monde suit aujourd'hui un scénario dit des « doubles ressources », dans lequel l’effondrement est causé non pas par le manque de ressources, mais par la pollution. La recherche de croissance constitue un point central. Les modèles montrent en effet qu’il n’est théoriquement pas faisable d’augmenter continuellement le PIB, tout en consommant moins de ressources (découplage absolu), même en tenant compte d’hypothèses optimistes concernant les avancées de la technologie.
Au niveau des individus, il est par ailleurs démontré qu’au-delà d'un certain niveau de revenu, la croissance économique n'améliorerait pas le bien-être humain. Les coûts de cette croissance (par exemple, la pollution et les bouleversements sociaux) pourraient même atténuer les avantages du début. Ainsi, dans les domaines de la santé et de l'éducation les avantages ne suivent plus la courbe de la croissance, et finissent par stagner, voire diminuer. Il en va de même pour les questions liées à la pauvreté. L’étude s’appuie notamment sur l’IPV (Indicateur de progrès véritable – Genuine Progress Indicator, GPI), une mesure alternative au PIB qui évalue le bien-être réel d'une société, en prenant en compte à la fois les aspects économiques, sociaux et environnementaux.
Pour les scientifiques, il est possible d'atteindre des niveaux élevés de bien-être avec des niveaux plus faibles d'utilisation des ressources. En mettant l’accent sur les services publics, l'égalité des revenus et la qualité de la démocratie, il serait possible de répondre aux besoins humains avec une consommation d'énergie beaucoup plus faible. Un tournant qui passe notamment par la mise en place de services de base universels, la réduction du temps de travail, la garantie de l'emploi et l’introduction de taxes sur le carbone et la richesse.
L'étude souligne enfin l'échange inégal entre le Nord et le Sud, où les pays riches exploitent les ressources et la main-d'œuvre des nations pauvres. La post-croissance dans les pays riches pourrait réduire cette exploitation, mais elle comporte des risques pour les économies dépendantes des exportations. Des politiques favorisant la souveraineté monétaire et le découplage économique seraient alors nécessaires.
« Cette étude présente une rupture dans notre façon de concevoir le progrès et esquisse une feuille de route pour créer des sociétés qui donnent la priorité à la santé humaine et à la santé de la planète plutôt qu'à la croissance économique », conclut Julie Steinberger, co-autrice de la publication.
Référence : G. Kallis, J. Hickel, D. W. O’Neill, T. Jackson, P. A. Victor, K. Raworth, J. B Schor, J. K. Steinberger, D. Ürge-Vorsatz, Post-growth: the science of wellbeing within planetary boundaries, Lancet Planetary Health, 2025
Cette étude a été menée dans le cadre du projet « Post-Growth Deal » (REAL), un projet transformateur en économie de post-croissance, financé par le Conseil européen de la recherche (ERC), et dirigé par les Prof. Julia Steinberger (UNIL Lausanne), Jason Hickel et Giorgos Kallis (UAB Barcelone).
Plus d’information :
Site du projet REAL
Description du projet